La normalisation partielle du Maroc avec Israël comporte des risques et des gains

Le président Donald Trump a annoncé dans une série de tweets le 10 décembre que les États-Unis reconnaissaient la souveraineté du Maroc sur le territoire contesté du Sahara occidental, ouvriraient un consulat à Dakhla et avaient négocié la normalisation qualifiée des relations entre le Maroc et Israël. Confirmé par le cabinet royal et le ministère des Affaires étrangères du Maroc, cet accord controversé de contrepartie aura des implications régionales, internationales et nationales de grande portée.

Selon l’accord, les deux États reprendront des relations diplomatiques partielles dans un proche avenir, établiront des vols directs et favoriseront la coopération économique et technologique. Cependant, le Maroc ne s’est pas engagé à ouvrir une ambassade en Israël (il ouvrira plutôt des bureaux de liaison, comme il l’avait fait avant 2002) et n’établira pas non plus de relations diplomatiques complètes. Moins d’un jour après l’annonce de Trump, son administration a envoyé un avis au Congrès sur une vente d’armes potentielle d’un milliard de dollars au Maroc – une décision similaire à celle que l’administration a prise à la suite de la normalisation des Émirats arabes unis avec Israël.

Bien que cet accord historique ait surpris les citoyens du Maroc et d’ailleurs dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), étant donné la position passée du Maroc sur la question, il s’agissait d’une étape stratégique pour le régime. Premièrement, la politique étrangère du royaume est la domaine réservé de la monarchie (pas du gouvernement élu). Rabat a profité du départ imminent de Trump de la Maison Blanche pour promouvoir ses intérêts diplomatiques et sécuritaires. En effet, l’administration Trump est désireuse d’accroître la légitimité et l’importance de son plan de paix, et ne dispose que d’un temps limité pour le faire. Le régime marocain, dont la stratégie diplomatique globale s’articule autour de l’obtention de la reconnaissance internationale de ses droits sur le Sahara occidental, a saisi cette rare opportunité.

Une normalisation partielle a provoqué l’indignation de certains des voisins du Maroc et va probablement bouleverser nombre de ses citoyens; En effet, 88% des Marocains interrogés ont déclaré qu’ils s’opposeraient à la reconnaissance diplomatique d’Israël, et 70% considéraient la cause palestinienne comme une cause qui concerne tous les Arabes (selon l’indice de l’opinion arabe 2019-2020). Bien que ce mécontentement ne se traduise pas nécessairement par une contestation immédiate, il entachera la vision des citoyens du régime et pourrait modifier les relations entre l’État et la société à long terme.

Pourtant, la décision stratégique de la monarchie marocaine renforcera sa position internationale et consolidera ses liens avec d’autres pays (dont plusieurs États du Golfe). De plus, la décision du Maroc ne l’isolera pas dans la région, car le royaume est le quatrième État de la région MENA à normaliser partiellement ses relations avec Israël en 2020 (après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan) et le sixième au total (l’Égypte l’a fait en 1979 et la Jordanie). en 1994). D’autres États de la région MENA pourraient suivre dans un avenir proche à moyen, en commençant peut-être par Oman.

Position internationale et régionale

La décision américaine de reconnaître la revendication du Maroc sur le Sahara occidental et la normalisation partielle des liens entre le royaume et Israël ne changeront probablement pas les positions de l’Union européenne (UE) et des Nations Unies (ONU) sur le différend. L’ONU continuera à faire avancer les résolutions du Conseil de sécurité, tandis que l’UE tentera de trouver un équilibre entre le maintien de ses liens étroits avec le Maroc et le soutien du processus de paix de l’ONU. Au sein de l’UE, cependant, la question peut être différente pour la France, qui est l’allié le plus proche du Maroc et l’État de l’UE le plus favorable à la position du royaume dans le différend. Bien que la France soutienne officiellement une solution politique négociée sous les auspices de l’ONU, il est peu probable qu’elle se prononce contre le Maroc à la lumière des relations étroites entre ses dirigeants et le régime marocain.

Dans la région MENA, l’Algérie rivale du Maroc ainsi que l’Iran ont critiqué la décision du régime, et elle sera probablement davantage critiquée par d’autres États qui ont des relations tendues avec Israël, comme le Liban, la Syrie et l’Irak. Cependant, ces États ne sont pas les alliés cibles du Maroc; dans la région, le royaume donne la priorité à ses relations avec les États du Golfe, qui fournissent un soutien financier et un soutien dans les forums régionaux souvent en échange d’une formation à la sécurité et d’un soutien diplomatique. L’accord ne changera pas les relations du Maroc avec le Qatar, l’un des alliés les plus proches du royaume qui s’abstiendra probablement de commenter.

Surtout, l’accord solidifiera les relations tumultueuses du Maroc avec le bloc saoudo-émirati, les Émirats arabes unis et Bahreïn ayant déjà normalisé leurs relations. Tous deux ont également établi des consulats dans la ville de Laâyoune, au Sahara occidental, un clin d’œil à la revendication du Maroc sur le territoire. Alors que l’Arabie saoudite reste silencieuse sur la possibilité d’une normalisation, elle est l’un des alliés les plus proches de l’administration Trump dans la région et pourrait suivre l’exemple du Maroc à l’avenir, en particulier si la rumeur de la réunion de la NEOM entre le prince héritier Mohammad bin Salman et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a effectivement eu lieu. Oman, un autre État du Golfe qui pourrait être un candidat probable pour une normalisation partielle, a déjà salué la décision du régime marocain.

Impact domestique

Chez nous, la communication du régime met en évidence la victoire du Sahara occidental et contient peu d’informations sur l’accord avec Israël. En fait, la monarchie se positionne comme un médiateur entre Palestiniens et Israéliens. La communication de l’État souligne que le royaume ne fait que reprendre ses vols, ses bureaux de liaison et ses relations diplomatiques avec Israël.

Immédiatement après l’annonce de Trump, le cabinet royal a publié un communiqué de presse discutant d’un appel téléphonique entre le président palestinien Mahmoud Abbas et le roi Mohammed VI – qui est d’ailleurs le président du comité Al-Qods (un comité sous les auspices de l’Organisation de la coopération islamique en chargé de discuter et de mettre en œuvre les résolutions relatives au conflit israélo-arabe). L’implication de cet appel téléphonique et de la communication qui l’entoure est que la question palestinienne reste une question importante pour le régime marocain et que les liens restent forts entre les deux parties. Le ministère des Affaires étrangères a affirmé que la position du Maroc sur la Palestine n’avait pas changé; il continue de soutenir une solution à deux États et de promouvoir des négociations entre les deux parties qui conduiraient à une paix définitive.

Les acteurs politiques nationaux sont divisés sur la question. Certains ont exprimé l’opinion que la normalisation des relations avec Israël ne fait qu’officialiser une relation existante et historique. En effet, il y a plus d’un million de citoyens israéliens d’origine marocaine; c’est la deuxième plus grande communauté d’Israël après la communauté russo-juive. Il existe également une coopération économique entre les deux pays; en fait, leurs échanges annuels s’élèvent à environ 30 millions de dollars. En outre, les deux parties ont coopéré secrètement dans le passé en termes de sécurité, Israël aidant notamment le régime marocain à obtenir des renseignements et des armes. Pour sa part, le Maroc – sous le feu du roi Hassan II – a animé les négociations entre Israël et l’Égypte de 1977 à 1979 et entre Israéliens et Palestiniens à la fin des années 80 et au début des années 90.

D’autres acteurs voient l’accord avec moins d’enthousiasme et soutiennent que la revendication du Maroc sur le Sahara Occidental est légitime et que le royaume n’a pas besoin de reconnaissance de la part des États-Unis ni de normalisation des relations avec Israël. Ce point de vue est plus étroitement aligné sur celui de la population générale; seuls 9% des Marocains interrogés sont favorables aux traités de paix entre Israël et les Emirats Arabes Unis et Bahreïn, tandis que seuls 13% pensent qu’il est bénéfique pour la région arabe que certains pays coordonnent leurs politiques étrangères avec Israël. La branche religieuse du Parti islamiste pour la justice et le développement à la tête du gouvernement a dénoncé la normalisation partielle des liens, tandis que la direction du parti était moins critique et plus respectueuse de la décision du monarque.

Préemptant les critiques internes, le roi Mohammed VI a déclaré que sa position sur la Palestine était inchangée, que le Maroc place sa question territoriale et la cause palestinienne au même niveau, et que le régime utilisera sa nouvelle position pour négocier la paix dans la région. Pourtant, le régime marocain ne peut pas jouer sur les deux tableaux; L’opinion publique ne sera pas apaisée par la rhétorique pro-palestinienne à l’intérieur du pays alors que le régime se présente comme favorable à Israël sur la scène internationale.

Perspectives: une décision intelligente?

Dans son pays, le régime marocain mise sur le fort sentiment nationaliste des citoyens envers le Sahara occidental qui éclipse leur soutien écrasant aux Palestiniens. Cependant, le régime peut constater que les Marocains ne sont pas prêts à traiter la situation comme un jeu à somme nulle. De nombreux Marocains, qui soutiennent à la fois la revendication du Maroc sur le territoire contesté et la cause palestinienne, peuvent considérer l’accord comme une étape inutile (étant donné qu’ils considèrent déjà la revendication du Maroc comme légitime) et une trahison des Palestiniens. Bien que la déception populaire ne déclenche pas immédiatement la contestation, elle peut modifier les relations État-société à long terme.

À l’étranger, c’est là que la décision du Maroc a le plus de potentiel. Au sein du Conseil de coopération du Golfe, de la Jordanie et de l’Égypte, la décision aidera le royaume à renforcer ses liens – ou, à tout le moins, ne nuira pas aux alliances déjà fortes. Quant aux États-Unis, leur reconnaissance est une victoire pour le Maroc, mais le moment et l’importance de cet accord historique soulèvent une question importante: que fera le président élu Joe Biden le 20 janvier? Bien sûr, il est possible qu’il revienne sur l’accord de Trump, de sorte que le Maroc attendra probablement pour établir des liens. Quand il le fera, le régime utilisera sa normalisation partielle avec Israël pour promouvoir ses intérêts sur la scène internationale.

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