Croyances des demandeurs d’emploi et causes du chômage de longue durée – Liberté Street Economics

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En plus de son terrible bilan humain, la pandémie COVID-19 a également provoqué des perturbations massives sur les marchés du travail. Aux États-Unis seulement, plus de 25 millions de personnes ont perdu leur emploi au cours de la première vague de la pandémie. Si beaucoup sont retournés au travail depuis lors, un grand nombre sont restés au chômage pendant une période prolongée. Le nombre de chômeurs de longue durée (définis comme les chômeurs depuis vingt-sept semaines ou plus) est passé de 1,1 million à près de 4 millions. Une préoccupation importante est que les chômeurs de longue durée sont confrontés à de pires perspectives d’emploi, mais les travaux antérieurs n’ont pas permis de parvenir à un consensus sur les raisons de cette baisse des perspectives d’emploi. Cet article traite de nouvelles découvertes en utilisant des données sur les croyances suscitées par les demandeurs d’emploi au chômage pour découvrir les forces motrices du chômage de longue durée.



Les chômeurs de longue durée font face à des perspectives d’emploi nettement moins bonnes

Une conclusion solide en économie du travail est que les chances de trouver un emploi diminuent considérablement plus une personne est au chômage depuis longtemps (voir, par exemple, Machin et Manning [1999]). Cette régularité empirique est appelée «dépendance de durée négative». Une question de longue date est de savoir dans quelle mesure ce phénomène reflète une réelle dégradation des perspectives d’emploi des demandeurs d’emploi – par exemple parce que les compétences se détériorent avec le temps – ou plutôt la composition changeante du bassin de chômeurs (voir, par exemple, Lancaster [1979], Heckman et Singer [1984]): si les chômeurs sont hétérogènes dans leur propension à trouver un emploi, ceux dont le taux sous-jacent de recherche d’emploi est plus élevé sortent du chômage plus tôt, tandis que ceux dont le taux de recherche d’emploi est plus faible constituent une part de plus en plus importante des chômeurs. Nous qualifions la première de «vraie» dépendance à la durée et la seconde de «sélection dynamique» ou d’hétérogénéité dans la recherche d’emploi. S’il est empiriquement difficile de séparer les deux effets, les deux explications concurrentes ont des implications différentes pour la politique du marché du travail. La véritable dépendance à la durée peut exiger des incitations à rechercher un emploi en temps opportun ou des programmes de recyclage, tandis que l’hétérogénéité exigerait le ciblage des efforts de réemploi.

Une nouvelle façon de démêler ces effets consiste à utiliser conjointement des données sur les perceptions subjectives des demandeurs d’emploi de leurs chances de trouver un emploi, ainsi que les taux réels de recherche d’emploi à différentes durées de chômage. Comme nous le montrons dans Mueller et al. (2021), la covariance entre les perceptions et la recherche effective d’un emploi permet de découvrir l’étendue de l’hétérogénéité ex ante des probabilités de recherche d’emploi sous-jacentes. La dépendance à la durée restante peut alors être attribuée à une «véritable» baisse des perspectives d’emploi.

Nous utilisons ici des données provenant de deux sources nouvelles, à savoir le New York Fed’s Survey of Consumer Expectations (SCE; voir Armantier et al. [2017]) et l’Enquête sur les chômeurs du New Jersey (NJUI; voir Krueger et Mueller [2011]). Les deux enquêtes suivent les mêmes répondants au fil du temps, ce qui nous permet de retracer comment les mêmes individus mettent à jour leurs perceptions à mesure que leur chômage progresse et quand ils trouvent un emploi. Le SCE est une enquête mensuelle en ligne auprès d’un panel rotatif de chefs de ménage aux États-Unis qui a débuté en juin 2013, tandis que la NJUI est une enquête hebdomadaire auprès des chômeurs échantillonnés parmi les bénéficiaires de prestations d’assurance-chômage dans le New Jersey à l’automne 2009. Dans la SCE, les demandeurs d’emploi au chômage indiquent la probabilité qu’ils espèrent trouver un emploi dans les trois prochains mois. Dans le NJUI, les demandeurs d’emploi indiquent la probabilité qu’ils s’attendent à être réembauchés dans les quatre prochaines semaines. Les croyances sont suscitées jusqu’à douze fois dans la SCE, et jusqu’à cinq fois dans le NJUI, pour les demandeurs d’emploi qui restent au chômage.

Perceptions de la recherche d’emploi et transitions réelles sur le marché du travail

Le graphique ci-dessous montre le taux moyen de recherche d’emploi réalisé à l’horizon de trois mois pour différents groupes de demandeurs d’emploi, regroupés en fonction de la durée de leurs perceptions de recherche d’emploi sur trois mois. La relation positive révèle la forte nature prédictive des croyances suscitées: en moyenne, ceux qui déclarent une plus grande chance perçue de trouver un emploi au cours des trois prochains mois sont plus susceptibles de trouver un emploi dans ce laps de temps. Une constatation connexe (non présentée ici) est que les perceptions de recherche d’emploi sont également très prédictives des taux réels de recherche d’emploi au cours des trois mois suivants, c’est-à-dire entre les mois quatre et six à partir du moment où la croyance a été suscitée. Cela indique la persistance de différences potentielles dans la recherche d’emploi.

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Bien que hautement prédictives, les perceptions subjectives dans nos données affichent également un biais optimiste dans l’ensemble, confirmant les preuves antérieures de Spinnewijn (2015). Le graphique suivant montre les moyennes de la perception obtenue à trois mois de recherche d’emploi et du taux de recherche d’emploi réalisé à trois mois pour différentes plages de durée du chômage. Le graphique confirme la forte dépendance négative de la durée dans les taux réels de recherche d’emploi. Les probabilités perçues de trouver un emploi diminuent également, mais à un rythme plus lent. En effet, alors que les perceptions sont à peu près en ligne avec les réalisations au début d’une période, un écart apparaît au fur et à mesure que la période se poursuit, avec des croyances suscitées en moyenne plus élevées que les taux réels de recherche d’emploi – indiquant un biais optimiste grandissant sur des durées plus longues. De plus, nous constatons que les demandeurs d’emploi ne revoient pas leurs croyances à la baisse lorsqu’ils restent au chômage, de sorte que la baisse observée de la perception d’un emploi est entièrement motivée par une sélection dynamique.

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Vraie dépendance à la durée ou hétérogénéité?

Comme mentionné ci-dessus, pour démêler les rôles de la sélection dynamique et de la «vraie» dépendance à la durée dans l’explication de la baisse observée de la recherche d’emploi réelle, nous exploitons la disponibilité de données sur les perceptions et les réalisations individuelles de la recherche d’emploi, ainsi que la capacité à suivre les mêmes individus au fil du temps. Comme détaillé dans Mueller et al. (2021), nous le faisons à la fois de manière «sans modèle», à la recherche d’une borne inférieure de la contribution de l’hétérogénéité, et dans un modèle statistique qui permet des biais dans les perceptions et des différences transitoires et persistantes dans la recherche d’emploi parmi les demandeurs d’emploi. Nous constatons qu’environ 85 pour cent de la baisse des taux de recherche d’emploi selon la durée est due à l’hétérogénéité des «types» de recherche d’emploi, ce qui suggère une marge limitée de détérioration réelle des perspectives d’emploi au cours d’une période de chômage. Le graphique ci-dessous illustre cela graphiquement: à une durée de chômage de zéro mois, la distribution des probabilités de recherche d’emploi sous-jacentes est très dispersée, reflétant la grande hétérogénéité des types. À des durées plus élevées (six ou douze mois), la distribution devient de plus en plus comprimée vers des propensions à trouver un emploi plus faibles, reflétant les effets de la sélection dynamique dans le bassin de chômage.

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Croyances biaisées et chômage de longue durée

Notre analyse souligne l’importance de l’hétérogénéité des perspectives d’emploi des demandeurs d’emploi au chômage. Mais les demandeurs d’emploi sous-estiment ces différences. Ceux dont les perspectives d’emploi sous-jacentes sont faibles ont tendance à être trop optimistes et vice versa. La sélection dynamique correspondante entraîne le biais optimiste parmi les chômeurs de longue durée. Il est important de noter que la sous-réaction des croyances peut elle-même induire une incidence plus élevée de chômage de longue durée. Les demandeurs d’emploi ayant de moins bonnes perspectives d’emploi rejettent trop d’offres d’emploi potentielles, car ils espèrent la possibilité d’une meilleure offre à l’avenir. Les travailleurs ayant de meilleures perspectives font le contraire. Les différences de réemploi sont ainsi amplifiées par le comportement de recherche d’emploi. En intégrant de tels biais dans les croyances dans un modèle de comportement de recherche d’emploi, nous constatons qu’ils peuvent augmenter l’incidence du chômage de longue durée de 10 pour cent – un montant significatif.

Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que la conception des politiques de chômage devrait prendre au sérieux l’hétérogénéité des travailleurs qui perdent leur emploi en raison de la sélection qui en résulte dans le chômage de longue durée. L’amélioration des informations des demandeurs d’emploi sur leurs perspectives d’emploi peut encore contribuer à réduire l’incidence élevée du chômage de longue durée coûteux.

Références

Armantier, Olivier, Giorgio Topa, Wilbert van der Klaauw et Basit Zafar, «Un aperçu de l’enquête sur les attentes des consommateurs», Examen de la politique économique, 2017, 23 (2), 51-72.

Heckman, James J. et B. Singer, «The Identifiability of the Proportional Hazard Model», La revue des études économiques, 1984, 51 (2), 231-241.

Krueger, Alan B. et Andreas I. Mueller, «Recherche d’emploi, bien-être émotionnel et recherche d’emploi en période de chômage de masse: preuves à partir de données longitudinales à haute fréquence», Brookings Papers sur l’activité économique, Printemps 2011, 1 (1), 1-70.

Lancaster, Tony, «Méthodes économétriques pour la durée du chômage», Économétrique, 1979, 47 (4), 939-56.

Machin, Stephen et Alan Manning, «Les causes et les conséquences du chômage de longue durée en Europe», dans Orley C. Ashenfelter et David Card, éd., Manuel d’économie du travail, Vol. 3, Partie C du Handbook of Labor Economics, Elsevier, 1999, pp. 3085-3139.

Mueller, Andreas I., Johannes Spinnewijn et Giorgio Topa, «Perceptions des demandeurs d’emploi et perspectives d’emploi: hétérogénéité, dépendance à la durée et biais». Revue économique américaine, 2021, 111 (1), 324-63.

Spinnewijn, Johannes, «Chômeurs mais optimistes: conception d’assurance optimale avec des croyances biaisées», Journal de l’Association économique européenne, 2015, 13 (1), 130-167.

Andreas I. Mueller est professeur agrégé d’économie à l’Université du Texas à Austin.

Johannes Spinnewijn est professeur agrégé d’économie à la London School of Economics.

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Giorgio Topa est vice-président du groupe de recherche et de statistique de la Federal Reserve Bank of New York.

Comment citer cet article:

Andreas I. Mueller, Johannes Spinnewijn et Giorgio Topa, «Les croyances des demandeurs d’emploi et les causes du chômage de longue durée», Federal Reserve Bank of New York Économie de Liberty Street, 29 janvier 2021, https://libertystreeteconomics.newyorkfed.org/2021/01/job-seekers-beliefs-and-the-causes-of-long-term-unemployment.html.


Avertissement

Les opinions exprimées dans ce billet sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Federal Reserve Bank of New York ou du Federal Reserve System. Toute erreur ou omission est de la responsabilité de l’auteur.

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